Le Déracinement

Des Imaginations Diasporiques

Depuis longtemps, les migrations et les diasporas contribuent à façonner le paysage culturel européen. Le Déracinement démêle cette relation ambiguë que l’Europe entretient avec ses frontières extérieures, en partant de l’Afrique du Nord et de la Méditerranée pour aller jusqu’au Congo, aux Antilles ou la Guyane française, la frontière la plus lointaine. Les artistes y mettent en lumière des récits oubliés de révoltes, d’amitiés et de coopérations internationales. Pas en tant que reconstruction, mais en tant qu’exploration poétique.

C’est la première fois que les photos du sociologue Pierre Bourdieu (FR, 1930-2002) sont présentées en Belgique ; elles constituent le point de départ de l’exposition. Pendant la Guerre d’Indépendance d’Algérie (1958-1961), il voyage dans le pays en compagnie du philosophe algérien Abdelmalek Sayad (DZ, 1933-1998). Ensemble, ils ont documenté l’exode massif des populations villageoises vers les villes de France et d’Algérie, sous la pression du colonisateur français. Ce travail de terrain étudiant les changements radicaux du paysage humain et naturel dans le Nord de l’Algérie a été compilé dans l’ouvrage Le Déracinement, auquel l’exposition a emprunté son titre.

Les réflexions sur l’interdépendance complexe entre l’homme et son environnement constituent le fil rouge des salles d’exposition de Z33. Les artistes se sont intéressés aux moments de déracinement et aux réinstallations qui ont suivi, en proposant des représentations alternatives de la solidarité.

Le bassin méditerranéen

Plusieurs artistes se sont penchés sur les flux migratoires oubliés qui caractérisent le bassin méditerranéen et la région du Nord de l’Afrique, que des changements importants au cours des dernières années ont transformée en frontière extérieure de l’Union européenne. Dans de nombreuses œuvres, la mer est une métaphore des liens coloniaux oubliés entre l’Europe et l’Afrique. Francis Alÿs (BE, 1959), par ses tableaux, relie les côtes de l’Espagne (Tarifa) et du Maroc (Tanger). Ce même littoral de Tanger se retrouve également dans les photos d’Yto Barrada (FR, 1971), où on voit des hommes couchés, attendant une occasion de traverser le Détroit de Gibraltar. Lidya Ourahmane (DZ, 1992) a mobilisé son propre corps et son histoire familiale pour étudier comment un traumatisme local peut être ressenti au niveau collectif.

Sara Ouhaddou (FR, 1986) explore comment l’expérience migratoire de sa famille, partie du Maroc pour s’installer en France, a façonné le langage et les traditions orales. Par le biais d’un alphabet de symboles empruntés aux écritures arabe et amazighe, elle crée des schémas géométriques islamiques qu’elle tisse dans un chant dédié à un personnage populaire et mythique de la résistance marocaine sous l’occupation coloniale.

Anna Boghiguian (EG, 1946) a transformé une voile en peinture monumentale. Des paysages marins et des oiseaux y composent l’image idéale de l’homme totalement libre de franchir à son gré les frontières imposées par les États-Nations.

Histoires personnelles et collectives

Plusieurs artistes de l’exposition font un lien entre leur biographie et des histoires collectives pour mettre l’accent sur la dimension personnelle du processus politique. Mathieu Kleyebe Abonnenc (GF, 1977) part sur le fleuve Maroni en Guyane française pour y exhumer son histoire familiale. Son installation met en scène un orgue du 17e siècle, un collier caribéen composé de flûtes en os et une carapace de tortue utilisée comme creuset par les chercheurs d’or. Ces différents objets témoignent de la manière dont l’histoire coloniale a façonné le paysage culturel et naturel du pays.

Vincent Meessen (VS, 1971) porte sa réflexion sur les notions de désir et de mélange des races. Lors de la colonisation belge au Congo, au Rwanda et au Burundi, les enfants nés de père blanc et de mère africaine furent arrachés à leur famille et envoyés de force en Belgique. L’image d’archive de Miss Indépendance, élue en 1960 pour célébrer l’indépendance du Congo, attire l’attention sur ces enfants et questionne la notion de « pureté ».

L’œuvre de Mounira Al Solh (LB, 1978), composée de phrases brodées sur des objets du quotidien, invite à la réflexion sur la puissance du langage pour donner forme à l’imagination. L’artiste elle-même, en tant que migrante, a séjourné dans un centre psychiatrique à Anvers. Les cours de langue l’ont confrontée au périlleux domaine de l’intégration des migrants qui, souvent, ont le sentiment de se trouver en dehors du système. La langue joue en cela un rôle important.

Formes de résilience et de solidarité

Cultiver la terre, que ce soit dans le cadre d’une activité de jardinage thérapeutique ou d’une agriculture d’autosuffisance alimentaire, est une matière de lutter contre l’aliénation et la subordination. Plusieurs artistes explorent cette culture – au propre comme au figuré. Mohamed Bourouissa (DZ, 1978) construit une installation d’immersion qui évoque le « jardin de la résilience » du psychiatre, écrivain et révolutionnaire franco-martiniquais  Frantz Fanon. Ce jardin se trouve à l’hôpital psychiatrique de Blida, en Algérie, ville natale de l’artiste.

Raphael Grisey (FR, 1979) & Bouba Touré (ML, 1948) se sont intéressés aux archives de la coopérative agricole malienne Somankidi Coura. Après une pénible vie de travailleur émigré à Paris, Bouba Touré décide de retourner au Mali. En compagnie d’autres travailleurs émigrés revenus au bercail, il s’attelle à la mise en place d’une agriculture alternative et autosuffisante. Cette œuvre sape le concept de « migrant passif » dans les relations Nord-Sud et renforce des formes de solidarité.

Kapwani Kiwanga (CA, 1978) représente des grains de riz qui traversent l’Atlantique, symbolisant l’autosuffisance et la résistance. Du 16eau 18e siècle, les esclaves africaines cachaient du riz dans leurs vêtements ou leurs cheveux dans le but d’assurer leur survie – et celle de leurs descendants – dans les plantations.

Environnements hostiles

Plusieurs œuvres de l’exposition s’intéressent à la manière dont des environnements naturels sont exploités pour contrôler la mobilité au niveau des frontières. Les artistes cherchent des liens entre les expropriations coloniales et les régimes actuels d’exclusion raciale. Ils attirent l’attention sur les différentes manières dont les pouvoirs politiques créent une atmosphère d’hostilité envers les personnes ayant une histoire liée à la colonisation et celles considérées comme extérieures au système.

Lorenzo Pezzani (IT, 1982), en compagnie d’un groupe d’activistes et de chercheurs, compose un atlas de géographies comparatives de zones frontalières où les îles, les montagnes, les mers et les déserts sont conçus pour entraver la liberté de mouvement.

The Otolith Group (fondé à Londres en 2002 par Anjalika Sagar et Kodwo Eshun) a réalisé un film qui zoome sur l’environnement hostile créé envers les descendants de la génération Windrush, ces communautés d’Afro-Caribéens venus en Grande-Bretagne pour aider à la reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale.

Fatma Bucak (TR, 1984) a fait venir cent rosiers de Damas à Hasselt, leur faisant ainsi parcourir plus de trois mille kilomètres. Fatma Bucak a replanté à Z33 les plants qui ont survécu au voyage. Ce travail nous rappelle qu’au-delà de toucher les humains, les conflits peuvent également transformer les paysages naturels, les économies locales et même le sol. Les nouvelles fleurs incarnent la notion de résilience et de renaissance face à la perte et la destruction.

Artists: Mathieu Kleyebe Abonnenc, Francis Alÿs, Yto Barrada, Anna Boghiguian, Pierre Bourdieu, Fatma Bucak, Mohamed Bourouissa, Raphaël Grisey & Bouba Touré, Kapwani Kiwanga, Vincent Meessen, Sara Ouhaddou, Lydia Ourahmane, The Otolith Group — Anjalika Sagar & Kodwo Eshun, Mounira Al Solh, Lorenzo Pezzani/Hostile Environment(s).

L’exposition de photos de Pierre Bourdieu est organisée et produite en collaboration avec Camera Austria, Graz, Autriche.

Les installations de Mathieu Kleyebe Abonnenc et Sara Ouhaddou ont été spécialement réalisées pour Z33, Maison d’Art actuel, de Design et d’Architecture

Le film de The Otolith Group a été réalisé pour la Triennale d’Architecture de Sharjah SAT01. 2019, en coproduction avec Z33, Maison d’Art actuel, de Design et d’Architecture

L’installation de Lorenzo Pezzani/Hostile Environment(s) est une commande de ar/ge kunst, Bolzano, Italie, en coproduction avec Z33, Maison d’Art actuel, de Design et d’Architecture

Dossier de presse_Le Déracinement

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Geerhard Verbeelen

 

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À propos de Z33 - Maison d'Art Actuel, Design & Architecture

La Maison d' Art Actuel, Design & Architecture Z33 est située au centre historique de Hasselt. Le design, l’art contemporain et l’architecture y sont mis à l’honneur dans un programme d’expositions, de conférences, de projets d’étude et de développement de talents. La nouvelle aile d'exposition de l'architecte italienne Francesca Torzo, est ouvert dès le 21 mai 2020. 

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